Le déplacement à la loupe du géographe. Exemples choisis dans le sud-ouest de l’océan Indien (M.-A. Lamy-Giner)

Article issu d’une communication réalisée dans le cadre du séminaire itinérant « Hors les murs : heuristique du déplacement dans la recherche”, le 26 mai 2021 dans les quartiers du Bas de La Rivière et de la Colline à Saint-Denis. Le déplacement à la loupe du géographe, exemples choisis dans le sud-ouest de l’océan Indien, par Marie-Annick Lamy-Giner, maîtresse de conférence HDR en géographie, au sein de l’unité de recherches OIES (Océan Indien : Espaces et Sociétés), à l’université de La Réunion.

En géographie, le terme de déplacement entre dans le vaste champ des transports. Plus précisément, il découle du concept plus englobant de mobilité. À proprement parler, la mobilité et le mouvement sont des notions qui désignent des formes de déplacements de personnes. « En effet, l’espace étant hétérogène, les transports fournissent le moyen de s’adapter par le déplacement à toutes les distributions différenciées » (Bavoux et al, 2005, 5). Le déplacement, quel qu’il soit, implique de la durée. Cette dernière fait appel à la notion de distance-temps, c’est-à-dire le temps nécessaire pour parcourir cette distance (10 km peuvent représenter 50 minutes en ville, 5 minutes sur autoroute, 50 secondes en avion). Nombreux sont les facteurs influençant les conditions de déplacement et qui se traduisent par une distance-temps plus ou moins maîtrisée ou aléatoire. Le déplacement suppose aussi un coût. La distance-coût correspond au budget qu’il faut consacrer à un déplacement (coût de l’essence, d’un ticket de bus ou d’un billet de train ou d’avion).
Les déplacements ont longtemps ressemblé à des sauts de puce, ponctués par maintes haltes. Aujourd’hui, a contrario, dans une société caractérisée par la hantise du temps perdu, on espace les arrêts et la quête de vitesse prédomine. La question du coût du déplacement est donc cruciale dans cet arbitrage entre route, rail et ciel (Gay et Mondou, 2017, 102). Distance-temps et distance-coût dépendent des choix des modes de transport, des itinéraires retenus et de l’éloignement.

Figure 1 – Les facteurs qui agissent sur les déplacements

Pour rallier ou quitter une île, éloignée d’une métropole, ou distante d’une terre voisine, il n’existe en revanche que peu d’alternative. L’avion est le mode de transport privilégié. Il semble pouvoir contracter en dépit de sa rigueur mathématique, la distance. Des études de cas régionaux, en particulier en matière de déplacements touristiques, viendront appuyer ou contredire ces constats.
Le propos sera structuré en deux temps. La première partie, s’apparente à une forme de prolégomènes, où la notion de déplacement est replacée dans les études de géographie. Dans la seconde partie, l’analyse se resserre autour des déplacements touristiques.

1. Prolégomènes : la notion de déplacement en géographie

En géographie, il est commun de distinguer trois familles : le transport aérien, le transport maritime et le transport terrestre. Le déplacement est un axe transversal à ces trois domaines. Mais quel que soit l’angle retenu, il s’agit toujours de mobilités d’individus ou de groupes. Chaque mode de transport et donc chaque déplacement et chaque vitesse dessinent pour chaque personne des territoires différenciés. En d’autres termes, nous ne sommes pas tous égaux en matière de déplacement.

On parle par exemple de déplacements pour désigner les mouvements des migrants pendulaires également dépeints comme des migrants alternants. Ils s’inscrivent, en ce cas, surtout dans le champ de la géographie urbaine. Ils se lisent donc à l’échelle locale entre domicile et travail selon la temporalité du quotidien. Manifestement, en se conjuguant, la démocratisation de la voiture et le développement d’infrastructures rapides ont conduit les populations à s’éloigner de leur lieu de travail. Il en résulte un accroissement des distances parcourues. Le temps consacré aux déplacements s’élève en moyenne quotidiennement à La Réunion à 1 heure (selon l’Insee (2014), un Réunionnais motorisé parcourt en moyenne 25 km par jour pour aller travailler).

D’autres formes de déplacements se donnent à lire, en particulier dans les espaces insulaires. Entrer ou quitter un territoire insulaire suppose d’avoir recours au bateau ou à l’avion. Ainsi, les déplacements maritimes et aériens caractérisent les mobilités insulaires. Les premiers ont surtout cours au sein d’un archipel, ou lorsque les îles se situent à faible distance les unes des autres. Les seconds permettent la desserte d’espaces éloignés, si tant est qu’ils disposent d’équipements (un aéroport, ou à défaut une piste). Ainsi, pour s’insérer dans les échanges, les îles tissent des lignes maritimes et aériennes, primordiales pour assurer le déplacement. Elles ne connaissent pas tous le même niveau d’accessibilité. Certaines sont « en bout » d’archipel, mal ou peu reliées aux autres îles, quand d’autres s’imposent comme des carrefours (Lamy-Giner, 2018, 159). Or, ce qui fait l’île c’est aussi sa capacité à gommer les discontinuités, « d’échanger, (de) communiquer pour exister » (Meistersheim, 2006, 505).

Ainsi, il est loisible de constater que les transports sont en même temps continuité et discontinuité (Bavoux et al, 2005, 97). Ce paradoxe est particulièrement visible au niveau des nœuds (ports, aéroports, gare). Ainsi, un hall d’aérogare est le lieu des séparations mais aussi des retrouvailles.

2. Le déplacement touristique insulaire : le rôle de l’avion

Parler de déplacement amène aussi à interroger les types de flux. Tout simplement parce que les personnes, les marchandises, les capitaux ou encore les informations recourent à des infrastructures (de transport) qui se concrétisent dans des flux, que l’on cherche, en géographie, à localiser, spatialiser et cartographier. Manifestement, les mécanismes de diffusion du tourisme dans les îles sont intrinsèquement liés aux mutations des moyens de transport. Sa démocratisation, dont les symboles actuels sont le charter et le low cost « long-courrier », donne à l’avion un rôle accru dans la desserte des îles.

Le tourisme suppose l’accès à des lieux autres et induit aussi d’éventuels déplacements au sein de ces lieux (Violier et alii, 2008, 7). Or, la démocratisation des moyens de transport, en particulier l’avion, a ouvert, un large éventail de destinations. Tous les petits points, a fortiori les territoires insulaires tropicaux, sur le papier grenu de la carte semblent aujourd’hui accessibles. L’avion, parce qu’il constitue souvent la seule alternative, du moins la plus rapide, est un des instruments clés dans le développement touristique des îles des mers chaudes (Gay, Mondou, 33). Charters et low cost « long-courriers » semblent avoir contracté la distance, rapproché « la carte postale ». Les distance-temps à l’identique des distance-coûts n’ont jamais été aussi bien « maîtrisées ». D’autant que les sites Internet, regorgent de comparateurs de prix, d’offres de dernière minute, de vols et billets tout en un. D’ailleurs le développement des compagnies low cost repose en grande partie sur Internet. Et réciproquement, sans Internet, les low cost n’auraient pu afficher des prix plus bas que les compagnies classiques.

Figure 2 : Les déplacements régionaux au départ de La Réunion : distance-temps vs distance-coût

Parler des déplacements touristiques amène aussi à interroger les flux inter-îles régionaux. Dans le bassin sud-ouest de l’océan Indien, force est de constater que ce sont les Réunionnais qui sont les plus mobiles. Ils sont environ 140 000 touristes à se rendre à Maurice chaque année, 10 000 à Rodrigues, 20 000 à Mayotte, 25 000 à Madagascar. Eu égard à leur pouvoir d’achat, ils disposent des viatiques, sommes d’argent affectées à un voyage, les plus élevés. Pour autant, les déplacements inter-îles régionaux sont relativement contraints. Les distances-coûts peuvent être prohibitives, en particulier durant les vacances scolaires. Ils dépendent de la saisonnalité qui fait référence non seulement à un tourisme rythmé par les saisons, mais surtout à des ruptures de fréquentation qui impactent fortement l’activité des destinations (Fabry, 2014, 21). Ainsi, entre la haute et la basse saison, le prix du billet peut doubler sur la ligne Réunion-Mayotte. Il est multiplié par 1,6 entre La Réunion et Maurice, eu égard à la distance-temps (45 minutes de vol en moyenne), la liaison Réunion-Maurice se révèle des plus onéreuses.

En somme les déplacements régionaux sont inégaux et relativement contraints. D’autant que a contrario de la Caraïbe, il n’y a ici que très peu de déplacements en bateau (souvent moins dispendieux qu’en avion), sauf entre Rodrigues et sa mère-patrie ou entre Mayotte et les Comores. Dans la région, le tourisme de croisière reste également confidentiel.

En conclusion, dans un monde fasciné par la vitesse, faut-il s’étonner que ce soit justement un déplacement, « le déplacement touristique [qui] permet[te] aux individus de trouver des interstices de liberté par rapport aux contraintes du quotidien, aux pressions sociales, familiales, personnelles… » (Violier et alii, 2008, 6).

Rallier les îles du sud-ouest de l’océan Indien n’a jamais été aussi aisé. Compagnies régionales, porte-étendards de leur île (Air Mauritius, Air Austral), charters, low cost, et autres compagnies étrangères (pour la desserte de Maurice ou des Seychelles) rivalisent. La question de l’accessibilité et du déplacement est ainsi primordiale pour appréhender la fréquentation touristique des îles tropicales (Gay et Mondou, 2017, 91). Pour autant, la desserte aérienne ne fait pas tout. D’autres paramètres en découlent à l’instar du coût des visas, de la saisonnalité qui influe sur les prix des billets. Dans cette configuration, les déplacements régionaux restent fortement contraints, obérant le développement du tourisme inter-île.

Qu’importe, la covid 19, qui marque un net arrêt dans les déplacements touristiques et a réduit, freiné, modifié les déplacements en général, invite à repenser notre façon de consommer, découvrir l’espace de l’ici et de l’ailleurs.

Bibliographie

Bavoux J-J., Beaucire F., Chapelon L. et Zembri P., 2005, Géographie des transports, Paris, Armand Colin, 231 p.

Favry N., 2014, « Saisonnalité : enjeux et stratégies », Juristourisme, n°165, p. 21-23.

Gay J-C., Mondou V., 2017, Tourisme et transport. Deux siècles d’interactions, Paris, Bréal, 2017, 255 p.

INSEE, 2014, n° 4, https://www.insee.fr/fr/statistiques/1285585

Lamy-Giner M-A., 2018, Accessibilité et insularité, HDR, sous le parrainage de F. Taglioni, Université de La Réunion, 188 p.

Meistersheim A., 2006, « Le malentendu », Ethnologie française, vol. 36, n^o3, p. 503-508.

Violier P., Stock M., Knafou R., Gay J-C., Coëffé V. et Ceriani G., 2008, « Conditions géographiques de l’individu contemporain », EspacesTemps.net, <https://www.espacestemps.net/articles/conditions-geographiques-individu-contemporain>, consulté le 23 janvier 2017.

 

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